Inconnu à cette adresse est un roman très court (ou une longue nouvelle) écrit en 1938 par une américaine, Kressmann Taylor. Très proche du roman de Fred Uhlman L’ami retrouvé, il présente la correspondance fictive entre deux amis allemands, l’un juif établi aux USA, l’autre retourné vivre en Allemagne. Le tour de force de l’auteur est de montrer, avant même 1939 et le début de la seconde guerre mondiale, comment un homme à priori sain d’esprit plonge avec enthousiasme dans l’idéologie nazie.
Les lettres, savamment orchestrées, révèlent peu à peu une double trahison, ainsi qu’un dénouement sous forme de vengeance tragique.
Ce récit épistolaire montre le pouvoir des mots : les lettres deviennent assassines. On pense aux Liaisons dangereuses de Chorderlos de Laclos, chef d’oeuvre du XVIIIe siècle qui montre à quel point les sentiments humains peuvent devenir dangereux, en utilisant le pouvoir des mots pour détruire des vies.
Inconnu à cette adresse permet de travailler sur l’implicite, sur le sens caché de la nouvelle. L’action prend place au moment de la montée du nazisme, entre 1932 et 1934, ce qui en fait une oeuvre intéressante à étudier en parallèle du programme d’Histoire de 3e.
Patrick Timsit et Thierry Lhermitte ont incarné ces deux personnages dans une adaptation théâtrale de Delphine de Malherbe :
Analyse des lettres de Inconnu à cette adresse
Les deux premières lettres constituent l’incipit, c’est à dire l’exposition de la nouvelle (qui ? quoi ? quand ? où ? pourquoi ?). On y apprend que Max, qui vit à San Fransisco, est célibataire, cultive des idées pacifistes et démocratiques, s’occupe de la galerie d’Art que les deux amis ont en commun, s’interroge sur le sens spirituel de la vie. Martin, qui est retourné en Allemagne, est marié à Elsa et a trois enfants. Nouveau riche aux idées libérales, il participe à la gestion de sa ville et se montre surtout préoccupé par ses nouvelles acquisitions. On note quelques remarques sexistes à l’encontre des femmes.
Dès la troisième lettre, des divergences commencent à se faire sentir entre les deux protagonistes. Max apparait plus soucieux du sens moral et spirituel de la vie (l’honnêteté de son commerce), tandis que Martin est fier de son ascension sociale.
Dans la quatrième lettre a lieu un événement majeur : l’accession au pouvoir d’Hitler. Exactions et injustices commencent à se faire jour. Martin est en proie aux doutes, il est tiraillé entre son personnage public et ses convictions personnelles. Mais il est déjà contraint au silence par le régime officiel et se confie donc en secret à Martin. Toutefois, à la fin de la lettre il a balayé ses doutes et se prend à espérer « participer à de grands événements ».
Changement de ton entre les deux amis
La cinquième lettre montre la grande inquiétude de Max pour sa soeur Griselle, en raison de l’antisémitisme qui grandit en Allemagne. La lettre suivante met en évidence la transformation de Martin sous l’effet de la propagande nazie. Il annonce à Max que la censure leur interdit de s’écrire, et attaque directement son ami à propos sur son judaïsme. On peut relever, sous la plume de Martin, les différences entre les formules d’appel et de clôture de cette lettre et celles des précédentes, qui montrent clairement le changement de ton et de sentiments. On peut également, dans le cadre de l’étude de l’argumentation, analyser dans cette lettre 6 les arguments développés par Martin pour prôner le nazisme et l’antisémitisme.
« Si seulement je pouvais te montrer, non, t’obliger à constater la renaissance de l’Allemagne sous l’égide de son vénéré Chef. Un si grand peuple ne pouvait pas rester éternellement sous le joug du reste du monde. Après la défaite, nous avons plié l’échine pendant quatorze ans. Pendant quatorze ans, nous avons mangé le pain amer de la honte et bu le brouet clair de la pauvreté. Mais maintenant, nous sommes des hommes libres. Nous nous redressons, conscients de notre pouvoir ; nous relevons la tête face aux autres nations. Nous purgeons notre sang de ses éléments impurs. C’est en chantant que nous parcourons nos vallées, nos muscles durs vibrent, impatients de s’atteler à un nouveau labeur ; et nos montagnes résonnent des voix de Wotan et de Thor, les anciens dieux de la race germanique. »
La réponse de Max (7e missive) à cette lettre offensante est celle d’un homme blessé et bouleversé. Il tente de ramener Martin à la raison : relever ses différentes manières de faire pour y parvenir (indices : rappel/ résumé/ flatterie).
« L’homme que j’ai aimé comme un frère,dont le cœur a toujours débordé d’affection et d’amitié ne peut pas s’associer,même passivement,au massacre de gens innocents.Je garde confiance en toi,et je prie pour que mon hypothèse soit la bonne;il te suffit de me le confirmer par lettre par un simple « oui »,à l’exclusion de tout autre commentaire qui serait dangereux pour toi. «
La lettre qui suit (8e missive) met fin à l’amitié entre les deux hommes. Le ton est glacial, lapidaire : les phrases sont sèches et courtes. L’ironie et la méchanceté y sont omniprésentes (à relever). Martin confirme son changement de camp, fait l’éloge de l’action et de la cruauté du régime nazi. Il termine son épître sans formule d’adieu.
L’importance d’un personnage secondaire dans Inconnu à cette adresse
Dans les lettres 9 à 12, l’action rebondit grâce au personnage de Griselle, la soeur de Max. Le titre trouve son explication dans ces trois lettres (à expliciter).
On apprend par Martin dans la douzième lettre que Grizelle est morte. Il le fait brutalement, sans ménagements. Il utilise des jugements de valeur blessants : « Elle s’est montrée stupide ». Il se montre égoïste et sadique en avouant sa pitié pour sa femme enceinte et alitée, mais pas pour « une juive », la soeur de son ancien ami. Pire encore, il va jusqu’à détailler la souffrance extrême des derniers moments de Grizelle.
De plus, il tente de se déculpabiliser de cette mort en avançant des arguments fallacieux. Ses condoléances sonnent faux.
Cependant, Martin commet une imprudence, en révélant que sa maison et son courrier sont surveillés.
Dernier acte : l’heure de la vengeance
Les lettres 13 à 19 mettent en place le dernier acte de cette tragédie. Max ne reste pas passif face à l’attitude de son ancien ami, et veut venger la mort de sa soeur. On peut analyser les dates très rapprochées de ces missives, ainsi que tous les détails compromettants qui y figurent.
« Je t’en supplie, cesse ! Cesse maintenant que tout n’est pas encore totalement perdu. Désormais, c’est pour ma vie que je crains, Max. Pour ma vie.
Est-ce bien toi qui commets cette horreur ? Toi, mon bon vieux Max que j’ai aimé comme un frère ? Mon Dieu, mais tu n’as donc pas de pitié ! Assez ! Je t’en supplie. Arrête tant qu’on peut encore me sauver. C’est du fond de mon cœur rempli pour toi d’une vieille affection que je t’implore. »
Les rôles s’inversent, Martin est affolé, fait appel à la compassion et au chantage affectif, en vain. Max utilise la surveillance nazie pour accomplir sa vengeance : tous les mots qu’il emploie sont à double sens et suggèrent que Martin est au centre d’un complot judéo-bolchévique, transitant par la Suisse, et qu’il finance un prochain débarquement destiné à renverser le nazisme. La dernière lettre confirme que son stratagème a bien fonctionné. Martin est arrêté et sera exécuté.
Les thèmes abordés dans Inconnu à cette adresse
- le régime et l’idéologie nazis
- l’amitié
- la vengeance
- l’art comme outil de propagande
- le pouvoir des mots
- l’échange épistolaire
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