Qu’est-ce qu’une analyse de texte ? Un exemple avec le DNB 2025
Analyser un texte, ce n’est pas juste le résumer. C’est comprendre comment il est construit, pourquoi il produit tel effet, et quelles idées il défend.
Les 4 grandes étapes de l’analyse
- Lecture attentive : repérer les mots importants, les répétitions, les émotions
- Contexte : qui parle ? à qui ? dans quelle situation ?
- Langage : figures de style, registres, champs lexicaux
- Interprétation : que veut dire le texte ? quel est son but ?
Outils d’analyse à mobiliser
- Figures de style : métaphore, hyperbole, anaphore…
- Registres : lyrique, tragique, comique, pathétique…
- Lexique : vocabulaire concret, abstrait, évaluatif…
- Syntaxe : phrases longues/courtes, ponctuation expressive
Exercice : analyse guidée d’un extrait
« Il pleurait dans mon cœur comme il pleut sur la ville. » (Verlaine)
- Quel est le registre du texte ?
- Quels effets produits par la comparaison ?
- Quel sentiment dominant se dégage de ce vers ?
Exemple d’analyse littéraire sur le sujet du brevet DNB 2025 en français
La narratrice, Simone, a vingt-trois ans. Elle quitte sa ville natale, Paris, et arrive seule à Marseille.
« Dans toute mon existence, je n’ai connu aucun instant que je puisse qualifier de décisif; mais certains se sont rétrospectivement chargés d’un sens si lourd qu’ils émergent de mon passé avec l’éclat des grands événements. Je me rappelle mon arrivée à Marseille comme si elle avait marqué dans mon histoire un tournant absolument neuf.
J’avais laissé ma valise à la consigne1 et je m’immobilisai en haut du grand escalier.« Marseille », me dis- je. Sous le ciel bleu, des tuiles ensoleillées, des trous d’ombre, des platanes couleur d’automne ; au loin des collines et le bleu de la mer ; une rumeur montait de la ville avec une odeur d’herbes brûlées et des gens allaient, venaient au creux des rues noires. Marseille. J’étais là, seule, les mains vides, séparée de mon passé et de tout ce que j’aimais, et je regardais la grande cité inconnue où j’allais sans secours tailler au jour le jour ma vie. Jusqu’alors, j’avais dépendu étroitement d’autrui ; on m’avait imposé des cadres et des buts; et puis, un grand bonheur m’avait été donné. Ici, je n’existais pour personne; quelque part, sous un de ces toits, j’aurais à faire quatorze heures de cours chaque semaine: rien d’autre n’était prévu pour moi, pas même le lit où je dormirais; mes occupations, mes habitudes, mes plaisirs, c’était à moi de les inventer. Je me mis à descendre l’escalier ; je m’arrêtais à chaque marche, émue par ces maisons, ces arbres, ces eaux, ces rochers, ces trottoirs qui peu à peu allaient se révéler à moi et me révéler à moi-même.
Sur l’avenue de la gare, à droite, à gauche, il y avait des restaurants aux terrasses abritées par de hautes verrières. Contre une des vitres, j’aperçus un écriteau : « Chambre à louer». Ce n’était pas une chambre selon mon cœur : un lit volumineux, des chaises et une armoire ; mais je pensai que la grande table serait commode pour travailler, et la patronne me proposait un prix de pension qui me convenait. J’allai chercher ma valise, et je la déposai au Restaurant de l’Amirauté. Deux heures plus tard, j’avais rendu visite à la directrice du lycée, mon emploi du temps était fixé; sans connaître Marseille, déjà j’y habitais. Je partis à sa découverte.
J’eus le coup de foudre. Je grimpai sur toutes ses rocailles, je rôdai dans toutes ses ruelles, je respirai le goudron et les oursins du Vieux-Port, je me mêlai aux foules de laCanebière2, je m’assis dans des allées, dans des jardins, sur des cours paisibles où la provinciale odeur des feuilles mortes étouffait celle du vent marin. »
Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, 1960
- Endroit où l’on peut déposer ses bagages. 2. Avenue célèbre dans le centre historique de Marseille
Analyse littéraire du texte : La Force de l’âge de Simone de Beauvoir
📌 Contexte
- Auteur : Simone de Beauvoir, écrivaine et philosophe du XXe siècle.
- Oeuvre : La Force de l’âge (1960), récit autobiographique.
- Situation : La narratrice, âgée de 23 ans, quitte Paris pour Marseille, seule et sans repères.
- Ce texte est extrait de La Force de l’âge, œuvre autobiographique dans laquelle Simone de Beauvoir raconte sa jeunesse intellectuelle, ses choix de vie, et ses expériences fondatrices. Ici, l’extrait relate son arrivée à Marseille, à l’âge de 23 ans. Elle quitte Paris et se lance seule dans une nouvelle vie.
- Ce passage peut être lu comme un moment initiatique, un rite de passage vers l’âge adulte et la liberté.
🔎 Étape 1 : Lire activement
🌿 Champ lexical
- Voyage, transition, rupture : « valise », « départ », « consigne », « inconnue », « passé », « inventer ».
- Ville et sensations : « tuiles », « ombre », « mer », « herbes brûlées », « rues noires », « rocaille », « goudron », « oursins », « vent marin ».
🎵 Sons et rythme
- Alternance de phrases longues et introspectives avec des phrases brèves et saisissantes :
« Marseille. J’étais là, seule… »
🧠 Étape 2 : Comprendre le contexte
- Narratrice : Simone, jeune femme indépendante, quitte un cadre sécurisant.
- Lieu : Marseille, ville perçue comme étrangère et vivante.
- Temps : époque contemporaine de l’écriture, mais évocation d’un souvenir marquant.
- Point de vue : interne, récit à la première personne = subjectivité forte.
🛠 Étape 3 : Analyser les procédés d’écriture
✨ Figures de style
- Métaphore filée de la ville comme espace initiatique :
« je regardais la grande cité inconnue où j’allais sans secours tailler au jour le jour ma vie. » - Gradation et accumulation : « ces maisons, ces arbres, ces eaux, ces rochers… »
- Antithèse / contraste : entre passé encadré et liberté à inventer.
🎭 Registre
- Introspectif / lyrique : émotions personnelles, regards sensibles.
- Épique discret : le départ est décrit comme une traversée initiatique.
🗣 Style
- Syntaxe élaborée, vocabulaire précis, style fluide et littéraire.
- Temporalité réfléchie : « certains [instants] se sont rétrospectivement chargés d’un sens si lourd… »
💬 Étape 4 : Interpréter
🧭 Sens du texte
Ce texte montre un tournant existentiel : le début d’une vie adulte autonome.
La narratrice passe de l’obéissance aux injonctions d’autrui à une liberté radicale : choisir sa chambre, ses lieux, sa vie.
💡 Intention de l’autrice
Simone de Beauvoir met en lumière la naissance d’un sujet libre, une femme qui n’est plus fille ou élève, mais acteur de son propre destin.
🌊 Effet produit
Le lecteur ressent à la fois l’émotion de la solitude, le vertige de l’inconnu et la puissance du déclic fondateur. Le coup de foudre pour Marseille devient métaphore de la rencontre avec soi-même.
Mouvement 1 (l.1-3) : Retour réflexif sur un moment « décisif »
« Dans toute mon existence, je n’ai connu aucun instant que je puisse qualifier de décisif […] un tournant absolument neuf. »
✔ Fonctions
- Ouverture introspective, ton philosophique et méditatif
- Rétrospective personnelle : un événement devient important a posteriori
- Thème du souvenir : mémoire sélective, moments qui « émergent »
✔ Effets stylistiques
- Vocabulaire de la temporalité intérieure : passé, rétrospectivement, histoire
- Lexique de la rupture : tournant, neuf, événement
- Syntaxe ample, période rythmée → annonce d’un moment-clé
Mouvement 2 (l.4-10) : Le choc sensible de la découverte de Marseille
« Je m’immobilisai en haut du grand escalier. “Marseille”, me dis-je. […] tailler au jour le jour ma vie. »
✔ Fonctions
- Arrivée physique dans un nouveau lieu = début d’un nouveau cycle
- Description sensorielle très forte : Marseille perçue par la vue, l’odorat, le bruit
- Naissance d’une solitude existentielle : “les mains vides”, “je n’existais pour personne”
✔ Effets stylistiques
- Utilisation de l’énumération poétique : des tuiles ensoleillées, des trous d’ombre, des platanes…
- Contraste entre passé / futur, dépendance / liberté
- Formulation très puissante : « tailler au jour le jour ma vie » → métaphore du façonnage de l’existence
Mouvement 3 (l.11-15) : Prise de conscience de l’autonomie
« Jusqu’alors, j’avais dépendu étroitement d’autrui […] mes plaisirs, c’était à moi de les inventer. »
✔ Fonctions
- Affirmation d’une rupture radicale avec les habitudes, les cadres imposés
- Déclaration d’indépendance intérieure et concrète
- Mise en tension entre insécurité (rien n’est prévu) et liberté (tout est à inventer)
✔ Effets stylistiques
- Syntaxe cumulative : occupations, habitudes, plaisirs…
- Ton existentiel : construction de soi dans un vide initial
- L’idée d’« inventer » sa vie → dimension créative de l’autonomie
Mouvement 4 (l.16-20) : Exploration sensible et symbolique de la ville
« Je me mis à descendre l’escalier […] me révéler à moi-même. »
✔ Fonctions
- Transition vers le mouvement, la descente = engagement dans l’expérience
- Lien étroit entre découverte du monde et connaissance de soi
- Marseille devient miroir intérieur, terrain d’initiation
✔ Effets stylistiques
- Répétitions rythmiques : ces maisons, ces arbres, ces eaux…
- Verbe « révéler » = double sens (ville → moi-même)
- Lenteur du rythme narratif → émotion contenue et solennité du moment
Mouvement 5 (l.21-27) : Installation concrète dans un espace de vie
« Ce n’était pas une chambre selon mon cœur […] déjà j’y habitais. »
✔ Fonctions
- Retour au concret : trouver une chambre, prendre ses marques
- Adaptation rapide : elle fait avec ce qu’elle trouve
- Affirmation : elle « habite » déjà malgré son ignorance de la ville
✔ Effets stylistiques
- Détails réalistes (meubles, prix, emploi du temps)
- Phrase efficace : « sans connaître Marseille, déjà j’y habitais » → paradoxe qui souligne l’aisance nouvelle
Mouvement 6 (l.28-31) : Coup de foudre avec la ville
« Je partis à sa découverte. J’eus le coup de foudre. […] étouffait celle du vent marin. »
✔ Fonctions
- Élan amoureux pour la ville → Marseille devient personnage
- Plongée sensorielle dans la matière de la ville
- Fusion entre espace urbain, nature et état intérieur
✔ Effets stylistiques
- Verbes d’action : grimpai, rôdai, respirai, me mêlai, m’assis…
- Accumulation de lieux et de sensations → foisonnement vital
- Opposition poétique : goudron / oursins, feuilles mortes / vent marin
🧾 Conclusion
Ce texte autobiographique témoigne du moment où une jeune femme, en quittant ses repères, découvre sa capacité à exister par elle-même. L’expérience sensible de la ville, l’épreuve du réel, le choix du lieu de vie, tout participe à une révélation existentielle : celle de l’autonomie, qui est un thème majeur de l’œuvre de Beauvoir.
Ce texte suit une construction très nette :
- Tournant narratif (réflexion) → immersion sensorielle → affirmation existentielle
- Marseille est bien plus qu’une ville : elle incarne un espace de naissance à soi, une matrice de liberté
L’écriture de Beauvoir, à la fois fine, incarnée et philosophique, traduit avec justesse la complexité de ce moment de bascule entre dépendance et autonomie.