Lire et comprendre « Dans la peau d’un noir » de J.-H. Griffin

Dans la peau d'un noir Griffin

L’un des enjeux de la scolarité en France est de former les jeunes aux notions de fraternité et de lutte contre le racisme. Pour cela, le livre de l’auteur américain J.H Griffin, intitulé Dans la peau d’un noir, peut permettre de bien comprendre ce qu’est le racisme. Le livre a été écrit en 1959 et a été publié en 1961. Il s’agit d’un reportage autobiographique, en immersion comme on dit aujourd’hui.

J.H Griffin est un journaliste blanc, américain, qui vivait au temps de la ségrégation, dans les années 1950. A cette époque, les personnes Noires, afro-américaines, n’avaient pas du tout les mêmes droits que les Blancs aux Etats-Unis. Ils ne pouvaient pas s’assoir à côté des Blancs dans les bus, devaient aller dans des restaurants réservés aux Noirs, ne pouvaient pas aller dans les mêmes universités que les Blancs, etc. C’était vraiment très difficile pour eux. C’est ce qu’on appelle la ségrégation. Martin Luther King et Malcom X sont deux hommes de la communauté noire américaine qui ont beaucoup lutté pour supprimer ces injustices.

« Je me préparai à pénétrer dans un univers qui me parut soudain mystérieux et terrifiant. En prenant cette décision, je réalisai que, spécialiste des questions raciales, je ne connaissais en fait rien du véritable problème noir ».

J.H Griffin, Dans la peau d’un noir

L’auteur du livre Dans la peau d’un noir est donc un journaliste Blanc, qui est révolté par le traitement réservé aux Noirs à cette époque. Il veut lui aussi lutter contre ces injustices, en témoignant. Mais, en tant que Blanc, il se rend bien compte qu’il ne peut pas vraiment comprendre ce que vivent les Noirs au quotidien. Même s’il discute avec eux, qu’il essaye vraiment de se mettre à leur place, il ne peut pas ressentir ce qu’est la discrimination et la ségrégation. De plus, comme il est Blanc, les Noirs qu’il interroge se méfient de lui et ne lui disent pas tout.

« Une idée m’avait hanté, pendant des années, et cette nuit-là, elle me revint avec plus d’insistance que jamais.Si, au cœur des États du Sud, un Blanc se transformait en Noir, comment s’adapterait-il à sa nouvelle condition? Qu’éprouve-t-on lorsqu’on est l’objet d’une discrimination fondée sur la couleur de votre peau, c’est-à-dire sur quelque chose qui échappe à votre contrôle? »

« Dans le Sud, nous avions beau vivre côte à côte, toute communication entre les deux races avait simplement cessé d’exister. En fait, chacune ignorait tout de l’autre. Le Noir du Sud ne dira jamais la vérité au Blanc. Depuis longtemps il sait que, s’il dit une vérité déplaisante au Blanc, le Blanc le lui fera payer cher.

J.H Griffin, Dans la peau d’un noir

Dans la peau d’un noir, au sens propre !

Alors, pour faire une enquête réellement approfondie sur le sujet de la ségrégation, J.H Griffin décide de devenir un Noir, au moins en apparence. Pour cela, il fait appel à un dermatologue (un spécialiste de la peau) qui va l’aider à changer provisoirement de couleur. Il va aussi mettre une crème colorante, et utiliser diverses techniques. On peut s’étonner de ce procédé, mais apparemment cela avait marché ! Le livre de J.H Griffin est en effet autobiographique, ce qui veut dire qu’il raconte ce qu’il a vraiment vécu. Son enquête en immersion dans la communauté noire a duré six semaines.

Pour vraiment s’immerger dans la peau d’un Noir, le journaliste décide aussi de couper tout contact avec sa famille, ses proches. Il veut vivre de l’intérieur ce que vivent les personnes noires, et donc ne pas sans arrêt retrouver sa psychologie et sa culture de Blanc, même au téléphone. Cette expérience incroyable, réalisée pour dénoncer les injustices dont étaient victimes les afro-américains dans les années 1950-1960, n’est donc pas seulement journalistique, mais aussi humaine. J.H Griffin tient un journal de bord, où il écrit presque tous les jours, pour raconter ce qu’il vit et découvre. C’est ce journal (au sens journal intime, comme un celui d’Anne Frank), qui deviendra le livre Dans la peau d’un noir.

« La transformation était complète et bouleversante. Je m’attendais à me trouver déguisé, ceci était tout autre chose. J’étais emprisonné dans le corps d’un parfait étranger, peu attirant et à qui je ne me sentais lié en rien. Tout ce qui pouvait subsister du John Griffin antérieur était anéanti. Ma personnalité elle-même subissait une métamorphose tellement totale que j’en éprouvais une détresse profonde ».

Révélations sur deux mondes différents

J.H Griffin savait, en commençant son enquête, que les Noirs étaient victimes de beaucoup de préjugés de la part des Blancs du sud des Etats-Unis, là où sévissait la ségrégation. Mais il ne se doutait pas à quel point ces préjugés étaient éloignés de la réalité !

D’abord, il se rend compte que la communauté noire vit souvent dans la peur : peur de l’avenir, peur de la violence qui peut survenir n’importe quand à leur encontre, mais aussi simplement peur de ne pas pouvoir aller aux toilettes lors d’un long trajet en bus, parce que les Blancs sont prioritaires et que les « personnes de couleur » doivent attendre que tous les Blancs aient terminé !

« J’ai eu peur tout le temps, mais la nuit ça va mieux… La nuit, le Noir a moins peur parce que les Blancs sont partis se coucher, il se sent moins menacé.” 

Il découvre que tous les aspects de l’existence sont très compliqués : acheter une bouteille d’eau (dans un magasin réservé aux Noirs) peut devenir un véritable parcours du combattant, et pour se loger, manger, ou même simplement discuter avec une personne blanche, il doit prendre son courage à deux mains car il est sans cesse méprisé. Même ceux qui prétendent, devant d’autres Blancs, ne pas être racistes, il les découvre sous un autre jour : leur comportement n’est pas le même vis-à-vis de lui, devenu Noir.

Un livre coup de poing aux conséquences mitigées

Pendant son enquête, le journaliste et écrivain J.H Griffin vit un véritable enfer, dont il ne soupçonnait pas la violence. Il ne montre pas non plus les gentils Noirs d’un côté et les méchants Blancs de l’autre. Son objectivité de journaliste l’oblige à dévoiler les aspects négatifs, les faiblesses et les vices des deux communautés, sans parti pris.

Mais, à la parution du livre et suite aux nombreuses interviews données par l’auteur, le succès s’accompagne aussi d’ attaques féroces de la part de personnes qui contestent ce qu’il raconte, et ce dans les deux camps. Des Noirs sont en colère car ils estiment que ce journaliste, même « déguisé » en Noir, n’est pas légitime pour parler en leur nom. Des suprémacistes blancs (des personnes sincèrement persuadées que la race blanche est supérieure à la race noire) le menacent même de mort.

Cependant, le livre a rencontré un écho médiatique important quand il est paru, et il a été traduit dans plusieurs langues. Cela a permis à des millions de gens de comprendre à quel point la ségrégation était insupportable et qu’il était nécessaire de mettre fin à cette injustice. L’auteur s’est engagé dans la défense des droits de l’homme.

« Je pensais au courage de ces gens qui s’efforçaient d’élever leur famille dans la dignité, à leur reconnaissance qu’aucun de leurs enfants ne fût aveugle ou estropié, à leur empressement à partager leur nourriture et leur logement avec un inconnue — tout cela me confondait. Je quittai mon lit, à moitié gelé, et je sortis. Un brouillard épais estompait la lune. Les arbres, masses fantasmagoriques, se dressaient dans la lumière diffuse. Je m’assis sur un baquet renversé et frémis en sentant sa froideur métallique transpercer mon pantalon. Je pensai à ma fille Susie, à ce jour anniversaire de ses cinq ans, aux bougies, au gâteau, à sa belle robe ; et à mes fils dans leurs vêtements d’apparat. Ils étaient en train de dormir dans des lits propres, dans une maison chauffée, tandis que leur père, un vieux Nègre chauve, était assis dans un marécage et pleurait en se retenant pour ne pas réveiller des enfants noirs Je ressentis de nouveau les douces lèvres des petits Négrillons contre les miennes, me souhaitant bonne nuit avec les mêmes baisers que ceux de mes enfants. De nouveau je vis leurs grands yeux naïfs, encore ignorants des portes qui leurs étaient closes —- celles du pays des merveilles, de la sécurité, de la facilité et de l’espoir. Cela me tomba dessus d’un seul coup. Je le compris non comme un Blanc, ni comme un Noir, mais comme un père de famille. Ces enfants étaient en tout point semblables aux miens, sauf le côté superficiel de leurs coloration, comme, en vérité, ils ressemblaient à tous les enfants du monde. » 

J.H Griffin, Dans la peau d’un noir

Dans la peau d’un noir est-il un livre facile à lire ?

Le style de J.H Griffin n’est pas des plus simples, et il a une certaine tendance à faire des phrases très longues qui peuvent décourager les lecteurs peu entrainés. Le début du livre est également un peu rébarbatif, quand il explique en détail tout le processus pour changer de couleur et les difficultés juridiques que son expérience pourra engendrer.

Mais à partir du second tiers du livre, la plongée dans la réalité détaillée du sud des Etats-Unis à cette époque, et les tribulations que vit l’auteur, suscitent l’intérêt du lecteur moderne. On ne peut s’empêcher de penser aux discriminations dont les personnes racisées sont aujourd’hui encore victimes, même si la ségrégation a disparu dans sa forme officielle. Même si Dans la peau d’un noir n’est pas très facile d’accès, il vaut la peine de faire l’effort de le lire. Alors je te souhaite une bonne lecture !

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